Parlons des Grands
Conquérants, de ces personnes très célèbres parce qu’elles se sont imposés à
travers l’histoire, ou que l’histoire a consacré à cause de leurs exploits
guerriers et civils. Mais sont-ils nombreux ? Depuis la nuit des temps, combien a-t-on compté de conquérants, et quels sont ceux que l’on peut requalifier
de « Grands Conquérants » ? En un mot qui sont-ils, qu’elles
sont leurs noms. Pour les connaître, voir les classer, il nous faut d’abord
passer par l’épreuve de la définition ; je dis épreuve, car cette
définition n’est pas si facile, et elle finira par être sélective :
beaucoup de candidats mais peu d’élus.
Conquérants
vient de conquérir ; la première définition officielle que l’on trouve est
sans appel « Personne qui fait des conquêtes par les armes » ; et
puis il y a aussi la version plus humaine, sentimentale « Personne qui séduit les
cœurs, les esprits » ; cette deuxième vision est-t-elle adapter à
notre sujet ? La première serait trop simpliste, voir négative. Et puis,
après quelques réflexions, je redis Oui, trois fois OUI. Il ne suffit pas de
réaliser une conquête guerrière, de réaliser une annexion pour passer du statut
de « bon général » à celui de « Grand Conquérant ; il faut
rajouter à la conquête guerrière, physique, géographique la dimension humaine
de séduction, d’adhésion pour les personnes qui ont été conquises. A quoi avoir
un nouveau territoire, une nouvelle province, si, faute d’avoir séduit les
cœurs et les esprits, on se retrouve quelques années plus tard avec une
révolte, une insurrection suivi d’une défaite et d’un retour à la case
départ ?
Les Grands Conquérants,
les meilleurs d’entre eux, ont réussi l’alchimie d’avoir réussi à conquérir les
personnes, et d’avoir pérennisé d’une manière durable, des dizaines d’années
voir des siècles, leur conquête ; souvent ils ont ainsi crée un empire
dans la suite de leur conquête armée, et aussi été le point de départ d’une
dynastie : la boucle était alors bouclée.
Et pour y réussir,
toutes les règles de bonne gestion d’un pays, les principes d’une bonne gouvernance
juste et efficace ont été appliqués ; après la victoire des armées est
venu une politique mêlant le droit, la justice, la religion qui a permis que
ceux qui avaient été vaincus et conquis de trouver une nouvelle qualité de vie
les amenant à une accumulation de bonheurs individuels : de perdants, ils
ont pu volontairement rejoint le camp des gagnants.
Toutes ces
intégrations ne se sont pas faites à sens unique ; les vainqueurs d’hier
doivent aussi se transformer eux-mêmes d’une manière suffisante pour qu’un
équilibre, nouveau, stable et durables, apparaisse entre les deux communautés
qui, après s’être suffisamment haïs pour se faire la guerre, puissent se
réconcilier.
Enfin, on ne
peut s’appuyer que sur l’histoire, des récits parlés puis écrites pour établir
cette liste ; or les faits historiques ne datent que du début du premier
millénaire avant JC, avant il est difficile de faire la part des choses entre
les contes, rumeurs, épopées et la réalité ; il est fort possible que les
empires mésopotamiens aient connus des Grands Conquérants, Nabuchodonosor ou
Assurbanipal devraient peut-être faire partie de ma sélection ; mais
comment valider ? Établir un début de preuves ?
Cette
sélection impitoyable ne laisse filtrer que peu de noms ; j’ai sans doute
été sévère, mais il le faut pour garantir la qualité de ce court récit sur les Grands
Conquérants.
ALEXANDRE le
Grand, la référence
Le nom du
premier de ces Grands Conquérants n’est pas surprenant, il y tient sa place sans
l’ombre d’un doute, et on ne compte plus les noms de ceux qui ont voulus
chausser ses bottes, refaire son succès, et pouvoir se qualifier de successeur
d’Alexandre. En quelques années, ce fils prodige du roi d’un microscopique état
montagneux situé au Nord de la Grèce a conquis l’ensemble du monde connu. A une
époque où Rome n’était qu’un petite cité-état, la Grèce empêtrée dans ses
guerres intestines, civiles et suicidaires, Alexandre emmena son armée
conquérir l’équivalent de la Turquie, l’Egypte, le proche orient, l’Iran,
l’Afghanistan et la partie nord de l’inde.
Son talent
militaire comprenait de nouvelles tactiques, ses phalanges équipées de leur
longue « sarisse » sont restés célèbres ; de plus, en tant que
meneur d’homme, Alexandre, toujours avec ses soldats dans tous les combats,
galvanisait ses troupes d’une manière qui n’as peut-être jamais été égalée. Et
après toutes ces victoires militaires, il a pu intégrer, mélanger les cultures
des pays conquis : les milliers de mariages scénarisées entre Grecs et
Perses sont aussi dans toute nos mémoires.
Sans doute sa
fin brutale, sa mort à 33 ans, ne lui ont pas permis de terminer son œuvre,
mais bien que sans successeur dynastique, son fils juste né, son empire divisée
entre ses principaux généraux a survécu plusieurs siècles avec les principes
originaux qu’il lui avait donné ; définitivement, Alexandre le Grand a été
le premier des Grand Conquérant et sans doute le plus abouti.
Qin donna son
nom à son empire
Au détour du
II siècle avant JC, à l’autre bout du monde, un homme réalisa la première unité
de l’ensemble des terres, royaumes et états situé entre, au sud des déserts
mongols et à l’ouest la péninsule indochinoise ; il donna son nom à cet
ensemble qui s‘appelle depuis la Chine. A la conquête militaire succéda une
politique d’unification terrible : tout a été fait, dans la douleur et le
sang, pour transformer ce vaste ensemble en un seul et même pays ; quelque
qu’en fut le coût humain, cet exploit est toujours considéré comme ayant été un
des plus importants accomplissements en cette partie du monde, et depuis, TOUT
les pouvoirs chinois, monarchiques ou non, n’ont fait qu’imiter ce qu’avait fait Qin :
tous n’ont eu depuis comme seul ambition d’avoir une influence dans le maintien
et le développement de l’Empire du Milieu.
Son monumental
tombeau ne coutât pas la vie d’un seul courtisan : à une époque où tous
mourrait avec leur suzerain, il préféra créer une immense armée en terre cuite,
et quinze mille statues d’argile ont depuis comme mission de surveiller son
dernier sommeil.
Mahomet
l’empire religieux
Au milieu du
moyen âge, à la fin du VI siècle après JC, un homme d’âge mur, quinquagénaire,
après avoir beaucoup observé le proche orient, de la péninsule arabique aux
confins de l’Inde en passant par l’Egypte a sans aucun doute compris comment
faire de cette myriade de peuplades querelleuses un grand empire ; pour
cela il fallait une unité militaire, donc politique mais surtout religieuse.
Ses révélations comprennent des visions politiques et religieuses : un
empire dans ce coin du monde, travaillé depuis mille ans par le judaïsme et le
christianisme devait avoir de nouvelles
fondations religieuses. Ainsi sont nées,
de la même volonté d’un seul Grand Conquérant, l’islam et l’empire
arabo-musulman ; en un laps de temps assez cours, une seule dizaine année,
il réalisa son ambition.
Bien sur la
succession fut difficile, pas facile de tout prévoir quand on est arrivé au
pouvoir si tard, mais malgré l’hécatombe parmi les califes qui lui ont succédés,
les principes fondamentaux qu’il avait mis en place ont pu être conservé, et
l’empire qu’il avait crée a perduré, voir est toujours présent, grâce à
l’oumma, en ce début de XXI siècle. La
religion dont il avait parfaitement vu l’importance dans le ciment de son empire
a très bien rempli son rôle de stabilisateur de cet empire historiquement arabique.
Charlemagne le
premier Européen
Le milieu du
moyen-âge est considéré comme un âge sombre, avec régression de acquis
culturels, techniques et sociaux qu’avaient apportés les Romains durant de si nombreux
siècles ; depuis, l’histoire ne mentionnait qu’invasions barbares, francs ;
et puis une suite de guerres, massacres à chaque fois que les nouveaux vainqueurs
de leurs précédents suzerains rapidement détrôné au mieux, assassinés souvent,
prenaient un pouvoir éphémère en attendant le nouveau massacre.
Et puis Charles
Martel fut une première trouée lumineuse quand il pu arrêter la conquête des
armées musulmanes (ou plutôt islamo-hispano-berbère) du coté de Poitiers ;
entre ses deux fils, la guerre habituelle de succession vit un nommé Charles
émergé et déclaré vainqueur par le pape. Et alors là, grande surprise ! Ce
vainqueur, réputé analphabète, fit une œuvre colossale de gouvernement en
unifiant les pays qui s’appellent aujourd’hui Europe, organisant ce qui était
réputé devoir toujours être ingérable : il fut sans doute le premier
non-romain à avoir crée une administration aussi efficace que celle de Rome.
Le pape, car à
cette époque il usait et abusait de son statut de représentant de Dieu sur
Terre, consacra sa réussite en le couronnant Empereur ; d’une société où
le bellicisme était LA raison d’être, il fit une région presque paisible ;
il créa le mythe de l’Europe paisible et heureuse.
Bien sur la succession
fut difficile, la vieille habitude carolingienne de diviser son héritage en
autant de parties que l’on avait de fils fit éclater l’empire en trois parties,
mais quelques années et guerres plus tard, tout rentra dans l’ordre. Les
invasions normandes firent souffrir la partie occidentale de l’empire, la
partie orientale se senti investi du sentiment d’être seul légitime de recueillir
l’héritage : il y eu de très nombreuses nouvelles guerres.
Mais depuis
Charlemagne, il n’y a pas de conquérant européens qui n’a pas basé ses guerres
de conquête sur l’impérieuse et absolue nécessité de retrouver, de refonder l’empire
de Charlemagne, le Saint Empire (dit) Germanique.
Gengis Khan l’exterminateur
Sans doute Qin a-t-il crée la Chine, elle
existe toujours ; mais les dynasties mongols n’ont eu de cesse de vouloir
la conquérir, dans une volonté plus globale et étonnante de s’approprier le
monde. Car c’est bien ce qui fait l’originalité de ces moghols : la simple
volonté de régner sur le monde entier, ne jamais s’arrêter dans les conquêtes
tant qu’il y avait une terre devant eux. Et dans sa stratégie de conquête,
Gengis Khan préféra le plus souvent les guerres d’exterminations, avec un pillage
totale de tout ce qu’il était possible de piller et des meurtres de tous ce qui
était vivant ; tel était l’habitude.
Les historiens
prêtent d’ailleurs de ce monsieur la réussite complète de génocides, l’extermination
à 100 % de plusieurs dont il n’a resté absolument aucun survivant ; depuis
il y a eu beaucoup d’imitateurs, mais personne n’a égalé Gengis Khan.
C’est bien ce point
qui pourrait faire éliminer Gengis Khan de cette sélection, il ne commençait à
gérer ses conquêtes qu’après avoir massacré une partie importante de ces
habitants ; mais après cette terrible sélection non-naturelle du départ,
les habitants (les survivants) des pays conquis avaient tous les avantages des gagnants.
Et la taille
de cet empire fut immense, le plus grand de tous, il est plus facile de décrire
ce qu’il ne comprenait pas ! L’Empire mongol était TOUT le monde connu
sauf : la partie Sud de l’Inde, l’Arabie, l’Europe du Nord, la Sibérie et
la partie Ouest de l’Europe, au delà de la Pologne aujourd’hui ; tout le
reste dépendait des Khan.
Les successions
entre les Khan étaient difficiles, beaucoup ont pensé que cela n’allait pas le
faire, mais cela fit souvent, jusqu’à la dernière fois !
Pas de
Français dans cette liste, il me semble que deux seuls pourraient être proposés :
Louis IX et Napoléon 1er.
Louis le
neuvième, plus connu sous le nom de Saint Louis, fut un grand organisateur, qui
a pu reconquérir son royaume, et surtout renforcer durablement le concept de
roi-chrétien ; à sa suite, pendant deux ou trois siècles, tous les gouvernants,
grands seigneurs et rois, asseyaient leur crédibilité et agissaient en se
réclamant de l’héritage de Saint Louis : c’est cela aussi la marque des
Grands Conquérants.
Napoléon
aurait très bien pu faire partie de cette liste, il fut un remarquable exemple
de conquérant-pacificateur-organisateur. S’appuyant sur les idéaux de la Révolution,
il mit l’Europe à ses pieds et dans ses mains. Hélas, trois hélas, un appétit
trop fort alla tout gâcher d’abord en Espagne puis en Russie.
Et depuis
cette époque de la fin du XV siècle, avons-nous eu des Grands Conquérants
depuis ? Et bien, j’hésite à proposer des noms ; Charles Quint ?
Son ambition n’était que maintenir l’existant ; Napoléon ? Voir ci-dessus ;
Hitler ? N’ayant pas voulu ou pu passer par l’étape pacification des conquêtes,
son échec était inscrit. On ne peut que craindre (ou souhaiter) que cette liste
de Grands Conquérants soit définitivement close.
Post-scriptum: sur Mahomet le conquérant, je viens de retrouver un texte d'Alexandre Dumas qui résume sa totale réussite:
"Le 10 septembre
570, sur les confins de l’Arabie Pétrée, au milieu de la ville de La Mekke,
dans le sein de la tribu de Koreisch, qui descend en droite ligne d’Ismaël,
fils d’Abraham, naît un enfant dont les aïeux occupent depuis cinq générations
la souveraineté de cette ville. À deux mois, la mort lui enlève son père ; et à
six ans, sa mère : l’orphelin, élevé par Abou-Thaleb, son oncle, adopte la
profession du commerce. À treize ans, il voyage dans la Syrie ; à dix-huit, la
régularité de sa conduite, la franchise de ses paroles, la concordance de ses
actions avec ses paroles, lui méritent le nom d’Al-Amin (le Fidèle) ; à
quarante ans, l’homme, instruit par ses voyages dans les dogmes religieux des
pays qu’il a parcourus, jette les yeux autour de lui : il voit les Arabes
partagés en tribus rivales, professant les unes l’idolâtrie, les autres un judaïsme
corrompu ; les chrétiens orientaux divisés en une multitude de sectes qui se
persécutent avec fureur. Lui seul, au milieu des peuples grossiers et
ignorants, doué d’une mémoire heureuse, d’une éloquence vive, d’une présence d’esprit
rare, d’un tempérament robuste, d’un courage inébranlable, reconnaît sa supériorité
sur tout ce qui l’entoure, devine que le terrain n’attend que la semence, et
commence à penser qu’il pourrait bien être appelé, comme Jésus, fils de Marie, à
prêcher les dogmes d’une religion nouvelle. Bientôt il se présente au peuple
comme l’envoyé de Dieu ; mais, ainsi que tout fondateur de secte, il commence
par éveiller l’incrédulité et la persécution. Poursuivi par les Koreischites
comme faux prophète, il est forcé d’abandonner La Mekke en proscrit ; et de
cette fuite, qui correspond chez nous au vendredi 16 juillet 622, sous le nom d’Hedjirah,
qui veut dire
fuite, date pour le monde une troisième ère.
Médine reçoit le
proscrit ; là le rejoignent ses disciples, là se rassemble une armée. Il se met
à sa tête, et, le sabre en main, se rouvre une route vers la ville qui l’exila,
et dans laquelle, le 12 janvier 630, il rentre en conquérant et en prophète, à
l’âge de soixante ans. Alors le vieillard se rend au temple, en fait abattre
les trois cent soixante idoles, sans en excepter les statues d’Abraham et d’Ismaël,
ses ancêtres : puis, pour purifier le saint lieu, il se tourne successivement
vers l’orient, le midi, l’occident et le nord, croisant à chaque pause les bras
sur la poitrine, et criant : « Allah ak-bar, » Dieu est grand. Enfin, deux ans
après, comblé d’honneurs et de respects, unique prophète d’une religion qui
domine aujourd’hui la moitié de l’ancien hémisphère, premier fondateur d’un
empire qui, agrandi par ses successeurs, embrassera, en quatre-vingt-dix ans,
plus de pays que les Romains n’en avaient conquis en huit siècles, il meurt à Médine
le 8 janvier 632 de l’ère chrétienne, et, trois jours entiers, les chefs des
tribus qu’il a soumises ont besoin de contempler son cadavre pour croire que
celui-là qui a fait de si grandes choses était un homme mortel comme les autres
hommes.
Cet enfant
orphelin, cet homme fugitif, ce vieillard triomphateur, c’est Mahomet le prophète,
que ceux de l’Orient appellent Mohammed-Aboul-Cassem."